- HÉMORHÉOLOGIE
- HÉMORHÉOLOGIEL’application de concepts physiques au sang et à son écoulement s’est souvent heurtée aux difficultés qui sont inhérentes aux propriétés spécifiques de ce fluide. Ce sont elles, pourtant, qui en font un sujet de recherche intéressant pour le rhéologue, non seulement pour la meilleure compréhension de certains phénomènes physiopathologiques, mais aussi pour l’originalité des problèmes théoriques qui sont posés.Malheureusement, des résultats bien établis en mécanique des fluides classique ont souvent été trop hâtivement appliqués à l’hémodynamique, sans même s’assurer de la validité des hypothèses de départ. Il faut, en effet, tenir compte de trois données particulières à l’écoulement du sang: d’abord la nature particulière du fluide qui est une suspension concentrée de cellules possédant des propriétés mécaniques complexes (viscoélasticité des membranes, grandes déformations) et susceptibles d’interactions fortes entre elles; ensuite les caractéristiques des vaisseaux; enfin la nature essentiellement non stationnaire des écoulements. Mais, en dehors des caractéristiques du fluide, des parois et de la nature des écoulements, il faut prendre en compte aussi les facteurs physico-chimiques: phénomènes d’échanges, tant au sein du fluide qu’au niveau des parois vasculaires (ces phénomènes sont particulièrement accentués par le caractère non stationnaire des écoulements), existence «in vivo» de mécanismes de contrôles et de régulations physiologiques complexes.Tout cela peut conduire à des écoulements dont la structure est essentiellement différente de celle des fluides classiques (zones stagnantes au niveau des bifurcations vasculaires, inhomogénéité du milieu, etc.).1. Rappel des principales définitions en rhéologieLa rhéologie est la science qui étudie la déformation et l’écoulement des corps sous l’influence de contraintes qui leur sont appliquées. Il est utile de définir à ce propos quelques termes couramment employés en rhéologie. On appelle sollicitation la force qui s’exerce sur un corps; les contraintes sont les forces (F) s’exerçant sur un élément de surface ds rapporté à l’air de cet élément de surface ( 精=F/ds ); on nomme contrainte tangentielle (shear stress...) la projection de la contrainte appliquée à un élément de surface sur le plan de cet élément de surface; la contrainte normale est la projection de la contrainte appliquée à un élément de surface sur la normale de cet élément; le terme de déformation s’applique à la modification des distances mutuelles de différents points d’un corps; la dérivée de la déformation par rapport au temps est appelée vitesse de déformation ; lorsqu’elle agit en tangentielle, on parle souvent de vitesse de cisaillement (souvent notée 塚 et exprimée en s-1).Pour les corps se rapprochant de l’état fluide, on définit alors la viscosité apparente 兀a comme le rapport entre la contrainte appliquée et la déformation correspondante ( 兀a = 精/ 塚 – valeur exprimée en mPa.s). Si cette valeur est constante quelle que soit la vitesse de déformation appliquée, on dira que le fluide est newtonien. Pour tout autre fluide, l’étude de l’écoulement nécessitera la détermination de la fonction 精 = f ( 塚) ou, ce qui est identique, de la relation 兀a = f ( 塚). Suivant la forme des fonctions f et g , on parlera alors de fluide non newtonien, de fluide viscoélastique, de fluide plastoviscoélastique...2. Les caractéristiques rhéologiques globales du sangIl est maintenant bien établi que le sang se comporte comme un fluide non newtonien. L’écart par rapport à un fluide classique se manifeste de façon différente selon le régime d’écoulement.En régime permanent d’écoulement, le sang est caractérisé par l’existence probable d’un seuil d’écoulement, une viscosité variable en fonction du taux de cisaillement, et une inhomogénéité du milieu en écoulement.En régime transitoire, existent des effets mémoire faisant dépendre les contraintes, à l’instant présent, du passé cinématique du matériau. Ces effets se manifestent sous diverses formes: déphasage entre contrainte et taux de déformation pour un cisaillement simple en régime pulsé, over shoot ou relaxation lors de brusques changements de la valeur de la vitesse de déformation...Viscosité sanguineLa représentation de la viscosité apparente du sang en fonction de la vitesse de déformation lors d’expériences (cisaillement simple) met en évidence (fig. 1) une viscosité élevée pour les faibles vitesses de déformation, due en grande partie à la formation de «rouleaux d’hématies» (fig. 2). Cette viscosité décroît rapidement pour devenir pratiquement constante pour des contraintes de cisaillement élevées. En fait, ce phénomène de viscosité élevée aux faibles vitesses de déformation ne sera important que dans des circonstances pathologiques à bas débits.Les principaux facteurs dont dépend la viscosité apparente du sang sont:– la concentration en volume des cellules (paramètre à distinguer de la valeur classique de l’hématocrite);– les propriétés mécaniques des hématies dont les principaux déterminants seront précisés plus loin;– la vitesse de déformation appliquée;– la viscosité du plasma, qui est elle-même fonction de la concentration et de la nature des protéines qu’il renferme, en particulier le fibrinogène et l’albumine dont les effets adverses sur la formation des rouleaux et par suite sur la viscosité apparente sont bien connus (fig. 2).Viscoélasticité et thixotropie du sangLes études portant sur les propriétés rhéologiques du sang en régime transitoire ou périodique sont récentes. Le sang se trouve soumis, par la nature même de l’écoulement «in vivo», à un régime périodique imposé par la pulsation cardiaque. De plus, la complexité géométrique du système circulatoire donne naissance à des zones d’écoulements à accélérations sensibles, et donc à des régimes transitoires variés. C’est pourquoi, des études expérimentales approfondies de divers régimes transitoires ou pulsés ont été réalisées par divers auteurs. Les résultats obtenus conduisent à penser que le sang présente dans ces régimes d’écoulements, des propriétés viscoélastiques et thixotropes tant que les vitesses de déformation seront inférieures à quelques s-1.L’explication de ces propriétés viscoélastiques et thixotropes tient compte des propriétés rhéologiques et physiques du principal constituant cellulaire: l’hématie. En effet, outre des propriétés rhéologiques particulières, l’hématie a la propriété de former un réseau tridimensionnel d’agrégats appelé «rouleaux». Cette structure a été bien objectivée, à l’aide de mesures en rétrodiffusion de lumière, ou par visualisation directe (fig. 1 et 3). Les rouleaux forment un réseau enchevêtré dans le plasma et chaque cellule confère au rouleau correspondant des propriétés élastiques venant se superposer aux propriétés visqueuses du plasma et de l’hémoglobine contenue dans la cellule. Au repos, pour le sang normal, l’agrégation est très marquée, et une destruction progressive se produit sous l’effet des forces de frottements visqueux apparaissant à la surface de l’hématie lors de l’apparition d’un écoulement. Ainsi, pour les faibles taux de cisaillement, le réseau constitué par les rouleaux et le plasma réunit les conditions pour le comportement élastique et visqueux qui se manifeste dans des régimes d’écoulements transitoires ou pulsés. Inversement, une reconstitution progressive du réseau d’hématies, lors d’écoulements progressivement ralentis ou stabilisés, fait apparaître des phénomènes de thixotropie. Pour des taux de cisaillement plus élevés (face=F0019 礪 5 à 10 s-1), les forces de frottements visqueux deviennent prépondérantes devant celles dues aux attractions mutuelles intercellulaires, les rouleaux se détruisent et, si des propriétés viscoélastiques subsistent, celles-ci sont à attribuer au comportement cellulaire individuel. On comprend alors facilement que la modélisation de la viscoélasticité et de la thixotropie du sang soit très délicate.3. Rhéologie des hématiesLe degré de déformation d’une hématie sera fonction des forces extérieures qui agissent sur la cellule ainsi que de ses propriétés intrinsèques (fig. 3). Les premières dépendent des contraintes qu’entraîne l’écoulement sur la membrane cellulaire. Il s’agit, in vivo, de la viscosité du plasma et des modalités de l’écoulement.Quant à la déformabilité intrinsèque du globule rouge, elle est sous la dépendance de la structure de la membrane et du réseau de protéines sous-jacent à propos desquelles un rôle fondamental est certainement à attribuer à la spectrine et à l’actine. La spectrine peut se lier à l’actine tout en demeurant attachée à la membrane par certaines protéines dont la mieux idendifiée est l’ankyrine [cf. CELLULE].Parallèlement aux paramètres biochimiques il est possible d’individualiser trois grands paramètres microrhéologiques: viscosité interne, relation surface/volume (formes), et propriétés viscoélastiques et moléculaires de la membrane; chacun de ces paramètres étant vraisemblablement en relation avec les paramètres biochimiques évoqués ci-dessus.La viscosité interne ( size=5兀i )L’intérieur de l’hématie est constitué par de l’hémoglobine en solution. Ce fluide «confiné» dans l’hématie s’apparente à un fluide newtonien et confère à l’hématie des propriétés de mobilité autres qu’élongationnelles.Les facteurs géométriquesLe rapport surface/volume. De nombreux travaux, tant théoriques qu’expérimentaux, ont expliqué la forme particulière de l’hématie, disque biconcave de 7 à 8 猪m d’épaisseur. Cette forme est le résultat de l’équilibre complexe de très nombreux paramètres tels que la tension superficielle, l’épaisseur de la membrane, la structure du cytosquelette, la pression hydrostatique au travers de la membrane, la charge superficielle.D’un point de vue quantitatif, on considère généralement que l’hématie a une surface S voisine de 140 猪m2 pour un volume V de 90 猪m3 ce qui permet d’obtenir des déformations à volume constant. Le rapport entre le volume et la surface est appelé index de sphéricité (S = 4,84 V2/3/A). On remarquera que Si = 1 dans le cas d’une sphère alors qu’il est égal à environ 0,7 pour une hématie normale. Toute altération de cet index entraînera une altération des possibilités de déformation de la cellule.Propriétés rhéologiques de la membrane érythrocytaireComportement viscoélastique de la membraneLe comportement élastique généralement observé au niveau de l’hématie peut être attribué aux propriétés et à la structure particulière de sa membrane. Cependant, une étude des résultats publiés met en évidence une grande dispersion des valeurs proposées. Cette contradiction peut, en fait, être expliquée par les différentes conditions expérimentales utilisées.Notons, d’autre part, que, parallèlement au comportement élastique, apparaît un aspect visqueux auquel on peut alors associer un module de viscosité. On analyse une suspension d’hématies au moyen d’un viscosimètre ou d’un microviscosimètre à temps variable. Notons enfin que les techniques de spectroscopie moléculaire (RMN, RPE, polarisation de fluorescence) permettent d’atteindre des paramètres locaux liés à la fluidité.Mouvement de rotation de la membrane («tank tread motion»)Une des conséquences des propriétés microrhéologiques de l’hématie est l’existence d’un perpétuel mouvement de rotation de la membrane autour de l’hémoglobine. Ce mouvement, maintenant bien visualisé, permet la transmission des contraintes de la membrane et favorise ainsi les transferts moléculaires. Ce mouvement de rotation de la membrane est, contrairement à celui qui est observé dans les émulsions, caractérisé par une seule fréquence, quel que soit le rapport viscosité interne/viscosité du milieu suspendant.4. Application de l’hémorhéologie en clinique: les syndromes d’hyperviscositéL’hyperviscosité et les nombreux signes cliniques qui en découlent constituent les syndromes d’hyperviscosité. Ce terme a tout d’abord été employé pour caractériser les hyperviscosités observées au cours des macroglobulinémies. Ce n’est que récemment que l’on a élargi le chapitre des syndromes d’hyperviscosité, en les définissant comme des états dans lesquels les propriétés rhéologiques du sang sont modifiées, ce qui entraîne l’augmentation de la résistance à l’écoulement. Vue sous cet aspect plus général, l’étiologie des syndromes d’hyperviscosité pourra être due:– à l’accroissement du nombre des éléments figurés;– à l’augmentation du taux des protéines plasmatiques totales ou à l’apparition d’une protéine anormale en abondance (protéines monoclonales);– à l’augmentation de la viscosité interne des hématies ou à la perte d’élasticité de la membrane;– à l’agrégation excessive des hématies et même peut-être des plaquettes.Hyperviscosités des polyglobuliesLes hyperviscosités des états polyglobuliques sont en relation directe avec la valeur de l’hématocrite [cf. SANG]. On admet en général que l’hyperviscosité réduit le débit cardiaque. En dehors de quelques travaux qui décrivent une diminution de l’activité de l’ATPase membranaire Mg/Ca dépendante, aucun désordre propre à l’hématie n’a été décrit jusqu’à présent. Parallèlement aux modifications du nombre des globules rouges, il faut également signaler l’existence d’un syndrome d’hyperviscosité sanguine dû à une prolifération des leucocytes au cours des leucémies.Hyperviscosité dans les hyperprotéinémies et les dysprotéinémiesLe syndrome d’hyperviscosité observé au cours des macroglobulinémies de Waldenström est maintenant bien connu. Dans ce cas, l’augmentation de viscosité sanguine observée est due à l’hyperviscosité plasmatique qui peut atteindre des valeurs plusieurs fois supérieures à celles du plasma normal. Les agrégats érythrocytaires se forment plus facilement, comme en témoigne l’accélération de la vitesse de sédimentation et les observations microscopiques. Ces syndromes d’hyperviscosité peuvent être eux-mêmes divisés en plusieurs groupes, définis, d’une part, par la présence ou non de protéines de poids moléculaire anormalement élevé, et, d’autre part, par la tendance ou non à provoquer la formation d’agrégats érythrocytaires. Il ressort, en fait, que l’augmentation de la viscosité plasmatique n’est pas l’apanage des seules protéines à hauts poids moléculaires. En effet, lorsque les protéines totales dépassent 90 g/l, l’augmentation de la viscosité aussi devient particulièrement marquée parce qu’elle est en présence de paraprotéines IgG et IgA. De plus, en dehors des gammapathies monoclonales, des syndromes d’hyperviscosité plasmatique peuvent être observés en présence de cryoglobulinémie ou cryofibrinogénémie.Syndromes d’hyperviscosité liés à une altération des propriétés rhéologiques du globule rougeAltérations de la viscosité interneIl a été calculé que, pour une concentration intracellulaire en hémoglobine égale à 34 p. 100, les tétramères d’hémoglobuline sont seulement séparés l’un de l’autre par 1 nm, ce qui permet cependant aux molécules de rester libres de rotation à l’état normal. Il est certain qu’une telle harmonie n’est conservée que si la structure de l’hémoglobine est normale, et si l’environnement cellulaire est stable. C’est pourquoi des altérations aussi graves que celles responsables de la falciformation, c’est-à-dire la formation des hématies falciformes dans la drépanocitose, ou de la précipitation d’une hémoglobine instable sous forme de corps de Heintz conduiront alors à une perturbation des propriétés rhéologiques de l’hématie. Dans ce groupe de maladies, se place donc d’abord la drépanocytose liée à une mutation affectant l’hémoglobine, ensuite des affections à hémoglobines instables qui précipitent et entraînent la formation de corps de Heintz ainsi que des hémoglobinoses diverses (hémoglobinose C par exemple).Syndrome d’hyperviscosité lié à des modifications de la membrane du globule rougeIl s’agira de modifications des propriétés rhéologiques de la membrane (élasticité, viscosité...). Dans ce cas, il faut noter en particulier la sphérocytose héréditaire (maladie de Minkowski-Chauffard), qui est la seule maladie hémolytique congénitale dont le diagnostic biologique repose depuis longtemps sur des critères rhéologiques (résistance aux solutions hypotoniques). On rencontre également des modifications rhéologiques membranaires dans le cas d’elliptocytoses héréditaires.Des perturbations rhéologiques peuvent également apparaître comme secondaires (akantocytose congénitale et syndrome de Zieve des alcooliques). Notons, enfin, que des perturbations rhéologiques de la membrane peuvent être observées au cours des hémoglobinuries nocturnes paroxystiques et, dans certains cas, d’anémies hémolytiques auto-immunes.Hyperviscosités d’étiologies diversesMaladies cardiovasculaires dégénérativesAu cours de la décennie 1980, des modifications rhéologiques ont été décelées au cours des maladies cardiovasculaires dégénératives. L’origine de ces modifications semble complexe et liée tout à la fois à des modifications des propriétés rhéologiques de l’hématie et à la formation excessive de rouleaux (fig. 4). Ces modifications rhéologiques se rencontrent aussi bien au cours d’insuffisance coronarienne et d’infarctus du myocarde, d’artériopathie des membres, de l’insuffisance vasculaire cérébrale.Hyperviscosité et facteurs de risque de l’athéroscléroseDes modifications rhéologiques complexes ont pu être décrites au cours de maladies considérées comme facteurs de risque de l’athérosclérose. C’est ainsi qu’au cours du diabète, on observe une augmentation de la viscosité sanguine généralement parallèle au taux de fibrinogène, une diminution de la déformabilité érythrocytaire ainsi qu’une augmentation de l’agrégation des hématies.Des modifications semblables sont également observées au cours des hyperlipoprotéinémies, de l’hypertension artérielle et du stress.5. Orientations thérapeutiquesL’étude des différents syndromes d’hyperviscosité met en évidence la grande diversité des origines de ceux-ci. Il est bien certain que, suivant l’origine du syndrome d’hyperviscosité, un traitement rhéologique devrait être envisagé. Il conviendra alors d’établir une nette distinction entre les médicaments vasoactifs qui peuvent, en fait, avoir un effet hémorhéologique indirect et les médicaments qui agissent plus directement. Ainsi le traitement des polyglobulies et l’amélioration hémodynamique par hémodilution sont évidemment efficaces lorsque l’hyperviscosité est due aux modifications du nombre des cellules. Il en est de même pour l’échange plasmatique qui est le traitement logique des hyperviscosités plasmatiques.À l’égard des agrégats, on dispose également de certaines substances dispersantes mais il est parfois difficile de distinguer entre les effets de la dilution et les effets spécifiques. Nous citerons principalement l’albumine à faible concentration et certains substituts du plasma. Dans ce cas, le problème des antiagrégants plaquettaires mériterait également d’être étudié.En ce qui concerne les actions microrhéologiques, on devra distinguer entre les substances à action membranaire directe, des susbtances agissant sur l’hémoglobine et la liaison hémoglobine-oxygène et les substances qui agissent sur la déformabilité cellulaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.